
La ville en elle-même est un chaos : un urbanisme sans logique, des maisons qui se dressent au gré des opportunités, et des lois du marché. Pas de plan d’urbanisme ni structure solide.
Dans l’air, un bruit constant : klaxons, moteurs rugissants, voix pressées, toujours pressées. Chaque seconde de retard semble une perte de trop. Sur les routes, la règle de priorité ? Une illusion. Ici, chacun se fraye son propre chemin, quitte à écraser l’autre dans sa course. Et il suffit d’une seconde d’inattention pour se faire voler : rétroviseur, téléphone, porte-monnaie, ordinateur… Dans cette jungle urbaine : keba na yo! Les bandits ou encore les enfants en situation de la rue, n’ont ni pitié ni remords.
Bujumbura respire, mais son souffle est lourd de plasticité, de déchets entassés dans les caniveaux, sur les trottoirs. Un spectacle d’abandon, de pauvreté, de négligence. Bujumbura est belle… mais elle est sale, marquée par une lassitude quotidienne, permanente.
Loin de se réduire à un simple problème esthétique, cette saleté est l’image d’une capitale qui porte les cicatrices d’une histoire violente, d’un pays plongé dans des décennies de crises et de déchirements. Les quartiers entiers souffrent d’un manque criant de services de base. L’eau potable est un luxe dans certains coins, tout comme l’électricité. Les routes sont des chemins de guerre, et les infrastructures s’effondrent à mesure que la population se multiplie. Mais l’urbanisme n’est que la surface visible de l’énigme.
Je trouve que l’inégalité est omniprésente. Une grande partie de la population vit dans une précarité abyssale, la promesse de services publics s’est effondrée. Les autorités sont débordées, leurs actions limitées, leurs efforts anéantis par la petite corruption, l’insécurité, l’absence de réformes. Bujumbura a l’apparence d’une ville gérée à la semaine, sans vision claire, durable.
Pourtant, les habitants de Bujumbura, malgré ce chaos incessant, se sont adaptés. Le désordre est devenu leur normalité. Une normalité cruelle, qui broie les rêves sous les roues de l’incertitude. Comment, dans une ville où l’avenir semble toujours suspendu, peut-on encore nourrir des espoirs ?
Il y en a qui continuent à se battre. Ceux qui refusent de se laisser engloutir par cette torpeur. Ils sont là, les étudiants aux syllabus pleins de rêves, les marchands ambulants ou leurs compères aux étals précaires, les boutiquiers du coin qui vendent des sourires comme on vend des produits. Il y a aussi les boys et les nounous, invisibles mais essentiels, les taxi-vélos qui pédalent contre le vent, les motards qui filent dans la poussière. Et surtout, il y a les chômeurs, invisibles et pourtant omniprésents, ceux qui ont mis leurs espoirs dans la capitale économique, croyant qu’elle offrirait un peu de répit, un peu d’avenir. Bujumbura, cette ville qui engloutit sans relâche, leur rend l’espoir en miettes. Elle est chaotique, bâtie sur des promesses non tenues, où chaque ruelle est un combat.
Face à ce chaos institutionnalisé, certains trouvent un peu de place pour respirer, d’autres sont condamnés à respirer l’air lourd de l’incertitude. Ce désordre consacré les sert parfois, « umuntu arashobora gutorera mu giharoharo » mais il les dessert souvent. Ici, ne soufflent que des vents contraires. Chaque jour est une lutte contre l’implacable, chaque nuit un rêve brisé avant même d’avoir pris forme. ll faut juste garder la sérénité.
Bujumbura a beau être une ville de contradictions, d’ombres et de lumières, elle n’est pas morte. Elle réclame un renouveau, un souffle nouveau. Mais ce renouveau, s’il doit advenir, ne sera pas simple. Il exige une remise en question totale de ses fondements, de sa gestion urbaine, de ses rapports sociaux. Les réformes en surface ne suffiront pas. Il faut aller plus loin. La ville doit se réinventer, au cœur de son admnistration, de ses valeurs, et de ses pratiques. Il est temps de rompre avec ce cercle vicieux. C’est un défi de taille, mais il est encore possible de croire que Bujumbura peut trouver une autre voie. Car au bout du compte, la ville, comme ceux qui y vivent, a encore un futur.
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Chaque matin, Guillaume Muhoza se lève tôt et nous livre son « JE TROUVE QUE », une série d’élucubrations souvent futiles, qu’il puise dans son vécu, dans les choses et les gens qui l’entourent, ainsi que dans l’actualité du Burundi et du monde. Lorsqu’il ne se laisse pas emporter par l’émerveillement face à des « riens », il ressasse les disques rayés de ses souvenirs évanescents ou rumine les peines d’un jeune homme égaré, pris dans la ronde des jours qui s’enchaînent et se confondent.