
Franchement, Il y a de ces questions « négatives », que nous, journalistes burundais, entendons souvent. Parfois, ça nous fait douter de notre choix de carrière. Beaucoup choisissent d’autres voies, plus prometteuses financièrement. D’autres tiennent bon, je fais partie de ces derniers.
Dites, comment les médias gagnent-ils de l’argent, au juste ? Et chez vous, les salaires, ça se passe comment ? Ils arrivent à temps ? Comment vous vous en sortez ? Vous arrivez à joindre les deux bouts du mois, sans avoir à compter les pièces de monnaie ? Franchement, pourquoi vous n’envisagez pas de changer de carrière ? Vous croyez qu’avec ce salaire, vous pourrez acheter une parcelle à Bujumbura ? Une voiture, c’est possible ? Et pour le mariage, vous pensez avoir assez un jour ? Vous connaissez au moins un journaliste riche dans ce pays ?
À combien est votre couverture médiatique ? Si on faisait simple, vous nous envoyez un de nos journalistes et nous nous occupons du per diem, 10 000 Fbu, ça vous va ?
Dites, vous ne craignez pas pour votre sécurité ? Pourquoi vous écrivez tout ça ? C’est vos oignons, vraiment ? Vous avez envie de devenir un héros, c’est ça ? Ah, mais attendez, on dit de vous les journalistes que vous êtes des voyous, non ? Vous fumez aussi, c’est ça ? Quand est-ce que vous mettez les dreads, c’est ça l’identité des journalistes, non? Est-ce que vous aussi, dormez dans des cabarets ?
Mais comment ça se fait que vous ne sachiez pas tout ça ? Un journaliste doit savoir tout sur tout, non ? Ah, vous n’êtes pas informés? Qui vous paie l’encre ? Vous avez un agenda caché, pas vrai ? Pourquoi vous ne publiez pas des infos plus « intéressantes » ? Ce que vous dites, c’est juste pour plaire au pouvoir, non ?
Et pourquoi vous critiquez toujours les autorités ? Pourquoi jamais parler de ce qui va bien ? Pourquoi ne parlez-vous jamais de vos propres problèmes ?
Moi ce que j’aimerais, c’est qu’on nous pose des questions un peu plus positives, plus intéressantes, qui vont au-delà de la simple survie. Des questions qui nous poussent à l’introspection, à plus de rigueur, à une meilleure conscience de notre rôle dans la société : celui d’être les garde-fous des pouvoirs publics, le quatrième pouvoir.
Des questions comme : En quoi pouvons-nous vous aider ? Quelle est la partie la plus difficile de votre travail ? Vous sentez-vous influencés par des pressions extérieures ? N’y a-t-il pas meilleure manière de faire le journalisme autre que de courir derrière les scoops ? Vous êtes-vous déjà retrouvés sous des pressions pour publier ou ne pas publier ?
Comment vous arrivez à concilier éthique et recherche d’audience ? Ce métier, vous le faites par passion ou par obligation ? Comment faire pour rester objectif quand on a des opinions personnelles ? Est-ce que vous vous sentez indépendants dans votre travail ? Vos journalistes sont-ils bien formés ? Est-ce qu’ils bénéficient de formations continues ?
Pourquoi certains journalistes ont-ils peur de traiter certains sujets ? Qu’en est-il des fake news, que faites-vous pour les contrer ?
Est-ce que vous êtes soutenus dans votre travail ? Est-ce que le public vous fait confiance ? Vous avez peur d’être manipulés ? Vous pensez être vraiment le quatrième pouvoir ? Comment faire en sorte que les journalistes ne vivent pas dans des conditions précaires ?
Et l’avenir des médias au Burundi, vous le voyez comment ? Qu’en pensez-vous des médias en ligne par rapport aux médias traditionnels ? Quelles innovations apportez-vous ? Comment servez-vous la jeunesse ? Comment gérez-vous les conflits d’intérêts ? Faites-vous des compromis dans votre travail ? Parfois, est-ce que vous vous sentez impuissants face à la situation ?
C’est ce genre de questions que l’on aimerait entendre, celles qui vont au fond des choses, celles qui interrogent sur l’application, l’éthique et le sérieux que nous journalistes mettons dans l’exercice de notre métier, pas celles qui nous désespèrent et nous déshonorent. Il ne s’agit pas de savoir si nous pouvons acheter une parcelle à Bujumbura, mais plutôt de s’interroger sur notre engagement à informer, notre quête de vérité et notre impact sur la société.
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Chaque matin, Guillaume Muhoza se lève tôt et nous livre son « JE TROUVE QUE », une série d’élucubrations souvent futiles, qu’il puise dans son vécu, dans les choses et les gens qui l’entourent, ainsi que dans l’actualité du Burundi et du monde. Lorsqu’il ne se laisse pas emporter par l’émerveillement face à des « riens », il se perd dans les disques rayés de ses souvenirs évanescents ou rumine les peines d’un jeune homme égaré, pris dans la ronde des jours qui s’enchaînent et se confondent.