Si je savais que je naîtrais et grandirais pauvre, je naîtrais moins. La pauvreté, ça n’a rien de digne.
Un jour, on interrogea une femme très pauvre, une de celles qu’on oublie au fond de l’existence. « Que feriez-vous si vous deveniez administratrice de la commune ? » Elle répondit : « Je dégusterais une à une toutes les ruches de bière de sorgho du marché, et puis, je m’arrêterais à l’étal des avocats, et j’exigerais qu’on me serve jusqu’à satiété des avocats et de l’ubuswage. » Voilà les rêves des pauvres. Ça ne dépasse pas le simple désir de remplir un ventre vide.
Je n’aime pas la pauvreté. Elle ne laisse plus de place pour l’imaginaire ; elle enterre l’espoir là où la lumière ne pénètre jamais. Elle déforme les pensées, elle les ronge jusqu’à ce qu’il ne reste plus que des mirages, des rêves creux. Rien d’autre. La pauvreté fait ça à l’âme : elle la rabote jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien comme aspiration que d’avoir quoi mettre sous la dent. Une vie sans éclat, sans panache, sans rêves.
Il y a des discussions qui naissent de cette misère, et elles sont toutes les mêmes, toutes aussi futiles. Il y a ces amis, leurs discussions sont du genre : « Si on te donnait un million, tu sauterais d’un immeuble à quatre étages ? Ou prenons 100 millions, tu accepterais de sauter de l’arrière d’un camion qui va à toute vitesse ? » C’est ce genre de discussions, celles qui ne vont jamais au-delà de l’argent, de la tentation d’échapper à une vie misérable. C’est ça, la pauvreté : ses rêves brisés, ses raisonnements futiles. Rien n’a de profondeur. Tout est mesuré en termes d’argent, d’un hypothétique salut.
Ce que je déteste encore plus, c’est cette façon dont la pauvreté transforme l’âme. Elle te rend méchant, nerveux, constamment sur le qui-vive. La moindre chose t’irrite et t’hérisse, le monde semble être un affront. C’est alors que surgit la question lancinante, celle qui fait mal : « Pourquoi cela m’est-il arrivé ? Pourquoi moi ? Pourquoi suis-je né dans cette famille et pas l’autre, ce pays et pas l’autre ? » Ce sont des questions sans réponse, mais des questions qui pèsent, qui appesantissent. Et dans ce poids, on cherche des excuses. On cherche un moyen de se réconcilier avec cette condition qui défigure tout, même l’âme. Et puis, il y a cette humiliation, douce mais insupportable, de devoir se courber devant des gens qui n’ont rien d’exceptionnel, sauf la richesse.
La pauvreté a cette odeur âpre, ce poids invisible qu’on porte sur soi, un stigmate, comme une étiquette qu’on colle sur ton front sans le vouloir. Tout le monde sait que tu es pauvre, et, d’un regard, ils te jugent, ils t’évitent. La pauvreté, c’est comme une brume qui s’installe autour de toi et qui t’isole des autres. Elle te fait perdre toute valeur, toute dignité.
Tu ne peux plus parler comme tu veux, tu dois toujours faire attention à ce que tu dis. Chaque geste est pesé, chaque mouvement est calculé. Et tout cela pour ne pas froisser ceux qui détiennent la clé de ta survie. Je trouve que la pauvreté est un poison silencieux qui dévore tout : l’esprit, le cœur, l’âme. C’est une douleur sourde, une lourdeur qui te colle au corps, une déchirure permanente.
Il n’y a pas de dignité dans la pauvreté. Je ne souhaiterais la pauvreté à personne. Que Dieu bénisse les pauvres et leur donne la force d’espérer, parce que ce n’est pas la pauvreté qui tue l’homme. C’est l’idée que tout est fini, que tout est perdu. Que Dieu leur donne ce qu’ils ne peuvent imaginer, ce qu’ils n’ont même pas le droit de rêver. Parce qu’il n’y a rien de plus triste que de vivre dans une vie qui ne brille pas.
——————-
Chaque matin, Guillaume Muhoza se lève tôt et nous livre son « JE TROUVE QUE », une série d’élucubrations souvent futiles, qu’il puise dans son vécu, dans les choses et les gens qui l’entourent, ainsi que dans l’actualité du Burundi et du monde. Lorsqu’il ne se laisse pas emporter par l’émerveillement face à des « riens », il ressasse les disques rayés de ses souvenirs évanescents ou rumine les peines d’un jeune homme égaré, pris dans la ronde des jours qui s’enchaînent et se confondent.