LA UNE

“La dépréciation ou l’appréciation d’une monnaie se constate au niveau de la banque centrale” – Diomède Ninteretse, économiste. - IRIS NEWS

La Rédactionoctobre 20, 2025
WhatsApp Image 2025-10-20 at 13.27.24

Sur le marché noir des devises au Burundi, le dollar américain connaît, ces derniers jours, une chute spectaculaire face au franc burundais. En l’espace de deux semaines, le taux USD/BIF est brusquement passé de 7 200 à 5 300 BIF ou moins, le 18 octobre 2025. Si certains chantent une appréciation inédite du BIF, les économistes, eux, se retiennent, évoquant une situation non durable et sans fondement économique. Dans notre rubrique MicroYaIris, lisez le décryptage de l’économiste Diomède Ninteretse sur les causes et la portée de ce phénomène.

  1. Sur le marché parallèle, le dollar s’effondre face au franc burundais. D’après vous, qu’est-ce qui expliquerait un tel phénomène ?

D’abord, il faut dire que la dépréciation du dollar par rapport au franc burundais ne se remarque pas au niveau du marché parallèle. La dépréciation ou l’appréciation d’une monnaie se constate au niveau de la banque centrale.

Actuellement, le constat est que même ces devises, ces dollars, qui continuent à perdre la valeur au niveau du marché noir, ne sont pas disponibles au niveau de la banque centrale ou au niveau des banques commerciales. Avant peut-être de répondre à votre question, c’est important de rappeler quelles sont les sources de devises pour le cas du Burundi.

La première source qui est connue, c’est l’augmentation de la production. Celle notamment du thé, du café et beaucoup plus de minerais, à un certain moment. La deuxième source des devises, c’est notamment les crédits et les dons de la communauté internationale. La troisième, c’est quand, par exemple, la diaspora rapatrie les capitaux pour les investissements à court terme ou à moyen terme.

Maintenant, malgré qu’on n’est pas dans cette situation, pourquoi effectivement la monnaie américaine, le dollar, continue de se déprécier quitte à passer de 7000 à 5300 par exemple ?

Personnellement, j’estime bien qu’il y a une certaine spéculation. D’abord de l’autorité financière, qui a la mission d’émettre la monnaie, que ce soit la monnaie locale ou la monnaie étrangère et les commerçants qui, aujourd’hui décident de ne pas créer ce marché noir.

Autrement dit, ce sont des mesures de la BRB, qui a, peut-être, émis un certain montant de devises sur le marché officiel. C’est-à-dire qu’il y a certains commerçants qui, aujourd’hui, ont accès aux devises au niveau des banques commerciales. Alors, ces commerçants qui avaient l’habitude d’aller verser une partie des fonds reçus de la BRB sur le marché noir, ne l’ont pas fait cette fois.

Actuellement, on constate qu’aussi, même ce franc burundais, continue à être recherché. Bien évidemment, un produit ou un service recherché devient cher, parce qu’aujourd’hui, il y a des gens qui sont en train de changer de dollars au franc burundais.  Et finalement, c’est le franc burundais qui s’apprécie par rapport au dollar.

Le deuxième constat, pour moi, il y a certains importateurs, qui avaient l’habitude de vendre leurs produits et services en BIF, et que quand ils ont les BIF, ils vont les échanger contre des dollars. Actuellement, ce n’est pas le cas.

Certains importateurs ont arrêté, parce qu’il se trouve que les gens ont perdu le pouvoir d’achat, et aujourd’hui, ils ont abandonné d’aller importer. Et là, il n’y a pas de gens qui vont chercher des dollars sur le marché noir.

Troisième chose, il faut constater que depuis un bon moment, les changeurs sont chassés et sont emprisonnés, et alors, certaines personnes peuvent se dire que ça ne vaut pas la peine de faire ce business.

Quatrième chose qui, pour moi, peut être très vraie, certes, aujourd’hui, il y a des pourparlers entre le gouvernement et le Fonds monétaire international sur la stabilisation du taux de change. Et là, déjà, certains commerçants peuvent décider d’anticiper, parce qu’ils estiment que cela peut contribuer à la baisse du taux de change.

Voilà, il y a d’autres éléments, peut-être, qu’il faut fouiller davantage, mais je me dis qu’aujourd’hui, la tendance, c’est que la BRB voudrait bien s’aligner au marché parallèle, parce que cela est devenu une recommandation à travers les différentes visites de la Banque mondiale.

  1. Certains expliquent cette appréciation du BIF par la chute du dollar à l’international, d’autres par l’usage du yuan pour les importations depuis la Chine ou encore par la récente exportation de minerais. Ont-ils tort ou raison ?

Moi, je pense que ces trois éléments sont valables d’une manière ou d’une autre, mais ils ne suffisent pas pour justifier une baisse de 7200 BIF à 5300 en si peu de temps. Parce que, tenez-vous bien, l’exportation des minerais se fait depuis longtemps. C’est seulement parce que l’autorité politique actuelle a décidé de la médiatiser. Je ne pense pas même qu’on ait déjà des rentrées suffisantes pour influencer le marché monétaire.

Le deuxième constat, certes, avec l’utilisation du yuan, les gens aujourd’hui préfèrent aller importer des produits à partir de la Chine en utilisant le yuan. Mais aussi cela est insignifiant pour influencer le cours normal de change jusqu’à produire un tel phénomène de dépréciation.

Moi, je me dis que la seule chose qu’on peut croire, en plus de ce que j’ai déjà expliqué, c’est plutôt la Banque centrale qui, aujourd’hui, essaie de réduire la masse monétaire sur le marché noir, et les dollars et les BIF. Et je crois que c’est une idée beaucoup plus monétaire, beaucoup plus économique que de dire qu’il y a effectivement la dépréciation du dollar au niveau international. Certes, il y a une dépréciation, mais elle est aussi insignifiante par rapport au marché.

  1. Si l’on doit attendre pour voir la durabilité de cette situation, combien de temps faudrait-il ?
Diomède Ninteretse

Tout dépendra de la volonté de l’autorité politique et monétaire. Parce que, comme je vous l’ai dit, on ne peut pas dire que ça va être durable si on n’augmente pas la production du café, du thé et des minerais et qu’on gère les devises que nous avons dans les comptes d’une manière rationnelle.

Sinon, on verra des devises quand le Burundi sera à mesure de contracter des crédits à long terme au niveau de la Banque mondiale, au taux de 3 %. C’est là où on verra que les devises vont entrer dans le pays et contribuent au développement.

Troisième source de financement de devises comme je le disais dans l’introduction, c’est notamment quand les Burundais vivant à l’étranger vont rapatrier leurs devises, leurs capitaux au Burundi pour investir.

Mais pour le moment, parler de la durabilité de la situation, tout dépendra de l’autorité politique qui décidera que le taux de change officiel et le taux de change parallèle soit équivalent. Souvenez-vous qu’au niveau de la BRB, on continue toujours à dire que le taux de change du dollar c’est autour de 3.000 BIF alors que ce n’est pas cela dans les faits.

Donc, on n’a pas encore trouvé la solution des devises parce que la cause de leur pénurie n’a pas été résolue. On n’est pas passé par les trois étapes que j’ai déjà évoquées.

  1. Certains anticipent déjà une baisse des prix sur le marché. Que leur diriez-vous ?

Moi, je pense qu’il faut que les gens comprennent ce phénomène du marché. C’est la loi de l’offre et de la demande. Maintenant, pour anticiper une baisse des prix sur le marché, il faut absolument qu’il y ait beaucoup de produits et de services qui viennent de l’étranger pour augmenter les produits et les services qu’on a.

Parce qu’ il faut se poser la question, est-ce que les facteurs de production, par exemple, du riz, du manioc,… ont-ils baissé ? Est-ce que on a la matière première ? Est-ce que l’engrais organique a baissé ? Est-ce que les prix des semences ont baissé pour voir les prix chuter ?

A la première occasion, je pense que c’est non. Tant qu’on n’a pas augmenté la production et que les demandeurs sont restés les mêmes, tant qu’aujourd’hui, le Burundais n’a pas accès au dollar dans une banque commerciale, on ne peut pas anticiper déjà la réduction des prix.

Mais bien évidemment, si la situation continue de s’améliorer, autrement dit, si le marché parallèle et le marché officiel s’alignent sur un taux raisonnable, certains commerçants vont commencer à aller importer à l’étranger et, à partir de là, les prix pourraient baisser.

  1. Et si la Banque centrale devait tirer parti de cette situation pour réduire le différentiel des taux de change, que devrait-elle faire ?

D’abord il faut comprendre que c’est sa mission première de réguler le marché financier. Elle n’a pas à tirer profit d’une situation, elle a plutôt le mandat d’équilibrer le marché officiel et le marché parallèle. C’est sa mission, on ne la lui demande pas.

Deuxième constat, la banque centrale devrait être encouragée à aller de l’avant, jusqu’à ce qu’il y ait l’équilibre sur le marché parallèle et le marché officiel. Autrement dit, il faut que la banque centrale continue toujours à sensibiliser l’autorité politique, puisque c’est sa misssion de conseiller l’autorité politique et monétaire, pour qu’on laisse la spéculation du marché noir et que les transferts passent dans les voies normales.

Il y a beaucoup de devises qui passent par d’autres voies informelles qui devraient rentrer au niveau de la banque centrale. Alors, maintenant que la banque centrale va s’aligner au marché parallèle, même les diasporas, les bailleurs qui avaient peur de passer par la banque centrale seront obligés de passer par cette voie, parce qu’il n’y aura plus l’intérêt de passer par le marché noir.

 

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *


A propos de nous

Iris News est un média burundais généraliste avec 6 agrégats éditoriaux qui articulent l’essentiel de son offre d’information : Affaires, Écologie, EAC, Jeunesse, Culture et Sport. Iris News, se définit comme « le média des possibles » destiné à aider les jeunes burundais à façonner un Burundi prospère et respectueux de l’environnement.


CONTACT US