
Le mot colonisation fait encore frémir. Mais lorsqu’il s’agit du passé commun entre l’Allemagne et le Burundi, la discussion prend une autre tournure et les voix convergent plutôt : il subsiste trop de zones d’ombre. Pour les éclairer, il faut de la recherche, des échanges, un dialogue qui creuse dans les silences.
C’est dans cet esprit que l’ambassade d’Allemagne à Bujumbura a réuni chercheurs, journalistes, artistes et enseignants pour une session au titre explicite : Recherches sur l’époque coloniale allemande et perspectives d’avenir. Derrière ce cadre sobre, une ambition claire : parler des initiatives entreprises par l’ambassade pour traiter un passé encore mal connu, et offrir aux Burundais comme aux Allemands des outils pour mieux le penser.

La première pierre posée est celle de la recherche : des bourses de quatre ans destinées à former une expertise locale sur cette histoire partagée. Jean Berchmans Ndihokubwayo doctorant à l’Université de Gieseen en Allemagne dans le cadre du programme, a ouvert la séance en rappelant combien l’empreinte allemande, brève mais profonde, persiste jusque dans le langage. Il évoque ces mots venus d’ailleurs, aujourd’hui incorporés au kirundi : « Gute ? », de Guten Tag, ou encore amahera pour dire l’argent, hérité du mot allemand Heller. Des traces minuscules, mais tenaces.
À ces programmes s’ajoutent d’autres initiatives : la création du Kontaktstelle Sammlungsgut, point de contact chargé d’informer sur les objets de collection conservés en Allemagne et leurs origines ; ou encore les voyages thématiques, ouverts chaque année à des journalistes, artistes, chercheurs, qui explorent la mémoire et les biens culturels en attente de restitution. En novembre dernier, une table ronde avait déjà mis ces questions sur la place publique, sous le thème : le travail de mémoire colonial en dialogue avec la société civile.
Un passé bref, des mémoires longues
Pourquoi pourtant ce passé colonial allemand au Burundi demeure-t-il si peu documenté, comparé à la Tanzanie ou au Rwanda ? La question, posée par Arthur Lion de l’ambassade de Belgique, a suscité une réponse directe de Jean Berchmans : la brièveté de la présence allemande, vingt années seulement, dont sept de résistance acharnée des Burundais, et l’obstacle de la langue allemande, difficile à maîtriser, point de dissuasion pour bon nombre des chercheurs.

La discussion a glissé vers l’essentiel : comment travailler la mémoire sans se perdre dans le ressentiment. « Nous sommes les descendants de ceux qui ont vécu ce passé violent, pas ses acteurs. À un moment, il faut dépasser pour bâtir un avenir mutuellement bénéfique », plaide Professeur Elias Sentamba.
Encore faut-il que ce travail ne reste pas confiné dans les cercles universitaires. « Une pièce de théâtre touche davantage les jeunes qu’une thèse académique », insiste la sociologue Dr Christella-Mariza Kwizera, de l’Université du Burundi, appelant à l’implication des artistes.
Les blessures, pourtant, ne s’effacent pas. Floribert Habonimana, enseignant-chercheur à l’ENS, a remis sur la table l’épineuse question du Traité de Kiganda, par lequel Mwezi Gisabo dut livrer 424 têtes de bétail à l’Allemagne, marquant officiellement la perte de l’indépendance du Burundi. La réponse de l’ambassade reste prudente : “il n’existe pas de solution dans l’avenir proche, mais les échanges ouverts finiront par tracer une voie.”, a dit la Chargée d’Affaires a.i. de l’Ambassade de la République fédérale d’Allemagne, Tanja Knittler.

Le Boma, de ruine coloniale à promesse de mémoire vivante
Un autre symbole du passage allemand s’invite alors : le Boma, vestige de pierre dressé au bord de la mémoire. L’ambassade a annoncé son intention de le restaurer et d’y aménager un musée retraçant l’histoire du Burundi jusqu’en 1916. Le lieu pourrait accueillir des œuvres d’art burundaises conservées en Allemagne, devenant à la fois espace de mémoire et de création vivante.
Pour concrétiser ce projet, un comité de pilotage bilatéral sera mis en place. Un geste qui, au-delà des pierres, cherche à bâtir des ponts. Entre deux histoires entremêlées, entre un passé inachevé et un avenir qui reste à écrire.