Karusi, terrain de passage au cœur d’un trafic d’enfants - IRIS NEWS

Bienfait Cakweridécembre 30, 20257min20
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À Karusi, ancienne province enclavée au centre du Burundi, la traite des enfants ne défraye pas la chronique. Pourtant, chaque semaine, des dizaines de jeunes garçons quittent leurs collines dans le silence le plus total. Direction : la Tanzanie. Derrière ces départs se cache un système bien huilé, alimenté par la misère, l’ignorance et des réseaux organisés. Enquête.

« Ils partent à pied, à vélo, ou dans le plus grand secret à bord de véhicules. Certains ont 13 ou 14 ans, d’autres à peine plus. Une fois la frontière franchie, ils disparaissent. » , témoigne Irakoze Kévin, aujourd’hui étudiant en anthropologie, qui a subi la traite à son âge d’adolescent.

Selon l’organisation ONLCT – Où est ton frère, plus de 280 enfants burundais traverseraient chaque jour vers la Tanzanie. L’ancienne province de Karusi fait partie des principales zones d’origine, aux côtés de Ruyigi et Cankuzo.

Les communes les plus touchées ? Buhiga, Bugenyuzi, Shombo, Mutumba. Mais c’est Gihogazi qui concentre l’attention. Là-bas, pendant la saison agricole, les collines se vident.  « Il est devenu rare de croiser dix garçons de 15 ans au village à cette période », confie un habitant de Murago, une colline de l’ancienne commune de Gihogazi.

Les enfants partent « à l’école »… en Tanzanie. Un surnom ironique pour une migration qui suit un calendrier scolaire : départ en septembre, retour en juin. Mais derrière cette apparente spontanéité, le trafic est organisé, structuré, dissimulé.

Irakoze Kévin, aujourd’hui étudiant en anthropologie, raconte son propre départ à 14 ans : « Nous sommes partis de Gihogazi pour Gitega, puis Makamba. Arrivé là, on m’a mis une tenue d’écolier et remis un cahier pour faire croire que je rentrais de l’école. On nous faisait passer la frontière de nuit pour éviter les patrouilles. »

Et quand la police arrêtait les groupes ? « Les passeurs avaient toujours de quoi payer : 500 000 BIF ici, 300 000 BIF là. Ces pots-de-vin étaient ensuite remboursés par les enfants une fois arrivés. », continue notre source.

L’enfer de l’autre côté

Les promesses de travail sont rapidement remplacées par la réalité brutale du terrain. En Tanzanie, dans des zones comme Nyanganga, les enfants sont affectés à des travaux agricoles épuisants.

« J’ai été payé 500 000 BIF pour ramasser du maïs sur 5 hectares. C’était exténuant. C’est vrai, on nous donnait 100 kg de farine et de haricots pour survivre. Mais, si tu tombais malade, tu avalais des cachets sans diagnostic. Certains sont morts. Ils ont été enterrés là, dans les champs », témoigne Irakoze, la voix lourde.

Les enfants dorment à même le sol, boivent rarement de l’eau propre, subissent les attaques d’animaux sauvages et la pression permanente de leurs “boss”.  D’après Irakoze, l’unique espoir, c’est de tenir jusqu’à la fin de la saison. Beaucoup ne reviennent jamais.

La misère, moteur silencieux du trafic

Derrière ces départs, un seul fil conducteur : la pauvreté. « Ceux qui reviennent ont des habits neufs, des radios, des téléphones… Ceux qui restent ici n’ont rien. L’envie les pousse à partir à leur tour », explique un parent à Gihogazi.

Parfois, ce sont même les parents eux-mêmes qui encouragent leurs enfants à partir.  « Quand un enfant envoie un pagne ou de l’argent, c’est toute la colline qui prend exemple », déplore-t-il.

Les jeunes, eux, se racontent des histoires de réussite. « Ils appellent ça « aller à l’école », mais en réalité, c’est une fuite organisée. Une quête d’illusion », poursuit notre source de la région.

Des efforts, mais…

Face à cette hémorragie, les initiatives existent, mais peinent à contenir le phénomène. Sylvane Nizigiyimana, représentant de FENADEB à Karusi, tire la sonnette d’alarme : « Nous travaillons avec les autorités pour identifier les cas. Mais sur le terrain, beaucoup d’acteurs locaux ignorent leurs responsabilités. Il faut renforcer les capacités, informer, former, prévenir. »

Pourtant le combat ne peut se gagne sans coopération régionale, insiste notre source : « Les autorités burundaises et tanzaniennes doivent se mettre autour de la table. On ne réglera pas cette crise chacun de son côté. »

Même son de cloche du côté de l’administration locale. Vanessa Butoyi, administratrice communale de la nouvelle commune de Karusi, énumère les efforts déployés : « Nous avons mis en place des comités collinaires de protection de l’enfant. Les écoles sont mobilisées pour signaler les cas de décrochage. Et avec FENADEB, nous organisons des campagnes de sensibilisation. »

Mais elle reconnaît les limites du dispositif : « Tant que la pauvreté gangrène les familles, les tentations resteront fortes. Il faut investir dans l’éducation, soutenir des projets économiques pour les ménages et surtout, nous doter de moyens logistiques pour réagir vite », conclut Butoyi.

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