
À 86 ans, le père Ntabona taille un costard à l’intelligence artificielle
Le plus connu des prêtres burundais et l’un des grands intellectuels du pays s’est cette fois penché sur les effets pervers des TIC, notamment de l’intelligence artificielle.
C’est au centre culturel Bwenge Nyabwo, situé à Mutanga, qu’on appelle d’ailleurs Kwa Ntabona, que le clerc a exposé, le 10 novembre 2025, son nouveau livre intitulé « L’océan de l’audiovisuel. Ses atouts et mésatouts ». Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il n’a rien perdu de sa verve ni de sa malice.
L’ancien professeur d’université, 86 ans, connu pour sa pensée critique sur la société burundaise et les médias, est un homme qui, malgré son âge, n’a aucun complexe lorsqu’il s’agit de peser et de soupeser les effets des technologies, qu’on pense pourtant symboles d’un âge qu’il a dépassé.
Quand l’abbé exorcise le démon de l’IA
Pour lui, l’intelligence artificielle, qu’il baptise « ubwenge mvaruganda », littéralement un « cerveau étranger », mérite discernement dans son usage. Pourquoi ? Parce que « l’intelligence artificielle veut penser à notre place ! »
« Nous avons été envahis… Elle déforme l’esprit humain », déclare-t-il. Dans la salle, quelques têtes hochent gravement, d’autres étouffent un rire discret : tout le monde sait que le père Ntabona, même quand il sermonne, le fait avec panache. « On ne peut pas toujours fuir ce qu’on ne comprend pas. Apprenons à l’utiliser plutôt qu’à le craindre », a glissé à Iris News un jeune auditeur.
Son nouveau livre, puisque c’est de celui-ci qu’il s’agit, s’intéresse au rôle de la pensée dans un monde dominé par les médias et la technologie. Ntabona y défend une idée forte : il faut réapprendre à réfléchir par soi-même, à l’heure où tout semble dicté par les écrans et les algorithmes.
Pour lui, la jeunesse ne doit pas subir la technologie, mais l’utiliser avec discernement.
Il plaide pour la création de groupes de suivi et d’éducation numérique au sein des associations et des écoles, afin de prévenir les dérives liées à l’usage excessif d’internet et des drogues.
« L’océan de l’audiovisuel » apparaît ainsi comme bien plus qu’un simple livre : c’est un cri du cœur d’un penseur burundais qui veut transmettre le goût du savoir, la beauté de la l’effort et la force de la réflexion à l’ère du numérique.
Le kirundi est massacré chaque jour
Ntabona, comme on le sait libre et transversal, n’a pas manqué de glisser, entre deux considérations sur l’intelligence artificielle, une diatribe passionnée sur la décadence du kirundi, un sujet qui lui tient à cœur. « Le kirundi d’aujourd’hui est mal écrit et donc mal parlé. »
Il regrette que les nouvelles générations ne maîtrisent plus leur langue maternelle comme autrefois. Et de raconter : « Même à la messe, il se trouve des gens qui parlent un kirundi abîmé. Une langue doit être parlée comme elle doit se parler, écrite comme elle doit s’écrire. »
Un nouveau projet de Ntabona pour 2026
Le patriarche ne veut pas encore s’arrêter. Il annonce déjà la sortie d’un prochain livre pour janvier 2026, à l’occasion de son 60ᵉ anniversaire de sacerdoce. Cet ouvrage, dit-il, portera sur la mémoire et la culture, deux thèmes qui lui sont chers.
Et de conclure, mi-sérieux, mi-taquin : « Je veux partir en laissant un héritage : une invitation à penser, à réfléchir, à tirer des leçons de la vie visible. » Il affirme qu’il lui reste encore deux livres à écrire avant de « quitter doucement la scène ».
P.S. : En vente à 30 000 Fbu à la Librairie Saint-Paul de Bujumbura, l’ouvrage se lit comme une traversée entre philosophie, observation sociale et méditation sur l’époque.

