
Pour la première fois au Burundi, la Journée internationale des langues des signes a été célébrée le 27 septembre 2025. L’événement a été l’occasion de plaider pour la reconnaissance officielle de la langue des signes burundaise comme langue nationale à part entière, et pour son intégration dans les programmes scolaires. Reportage.
Habituellement célébrée le 23 septembre au niveau mondial, cette journée a été commémorée au Burundi le mardi 27 septembre, au cours d’un grand rassemblement organisé sur le campus Kamenge de l’Université du Burundi.
L’événement, initié par l’Association pour la Promotion de l’Environnement Inclusif des personnes vivant avec un handicap (APEIH) et l’Association Nationale des Interprètes et Traducteurs en Langues des Signes (ANITLAS), en partenariat avec le ministère de l’Éducation nationale et de la Recherche scientifique, a mis en lumière l’importance cruciale de la langue des signes dans l’éducation, la justice sociale et le développement économique.
Le thème international retenu cette année, « Il n’y a pas de droits humains sans droits en langues des signes », a trouvé un écho particulier au Burundi, où les défis en matière d’éducation et d’inclusion des personnes sourdes restent considérables.
Selon la Fédération mondiale des sourds, plus de 70 millions de personnes sont sourdes dans le monde, dont plus de 80 % vivent dans des pays en développement, comme le Burundi. Chaque pays, selon sa culture et sa langue, développe sa propre langue des signes : un système linguistique riche et structuré, porteur non seulement de communication, mais aussi de culture, d’identité et d’histoire.
Une revendication pour la reconnaissance officielle
Au Burundi, force est de constater que la langue des signes reste marginalisée par les politiques publiques. C’est pourquoi l’organisation de cette journée prend tout son sens. « Nous voulons profiter de cette occasion pour lancer un appel à la reconnaissance officielle de la langue des signes burundaise comme langue nationale à part entière. Nous plaidons aussi pour l’intégration de son apprentissage dans les programmes scolaires dès le plus jeune âge, pour la formation et la mise à disposition d’interprètes qualifiés dans les secteurs de la santé, de la justice, de l’éducation et de l’administration publique, ainsi que pour la sensibilisation de la société afin de lutter contre la stigmatisation et promouvoir l’égalité », a déclaré Ntakarutimana Emmanuel, président de l’APEIH.
Plus qu’une langue : un levier d’inclusion
Souvent perçue comme un simple outil de communication, la langue des signes est bien plus que cela.
« La langue des signes est une inkingi — une pierre angulaire — de l’inclusion dans tous les secteurs de la vie nationale », a souligné le Dr Révérien Nshimirimana, enseignant à l’Université du Burundi.

Il insiste sur le manque criant d’interprètes, qui constitue aujourd’hui l’un des principaux obstacles pour les personnes sourdes. « Que ce soit dans les services publics, les hôpitaux, les tribunaux ou même dans les écoles, l’absence d’interprètes empêche les personnes sourdes d’exprimer leurs besoins et de faire valoir leurs droits », a-t-il ajouté.
Les participants ont dénoncé les nombreuses formes d’exclusion auxquelles ils font face. Dans le domaine de l’éducation, les écoles adaptées restent rares, les enseignants peu formés, et le matériel pédagogique en langue des signes quasiment inexistant. « Même après avoir terminé leurs études secondaires ou universitaires, beaucoup de jeunes sourds se heurtent à un mur, car leurs compétences ne sont ni reconnues ni validées dans les mêmes conditions que celles des entendants », a regretté Ntakarutimana Emmanuel.

D’autres obstacles concernent la vie sociale et professionnelle : difficultés d’accès à l’emploi, discriminations à l’embauche, ou encore impossibilité d’obtenir certains droits fondamentaux, comme le permis de conduire. « C’est une injustice qui nous fait nous sentir comme des citoyens de seconde zone », a témoigné une participante sourde.
Une invisibilité qui aggrave les inégalités
Pour Samson Nkurikiyubuzima, représentant légal de l’ANITLAS, l’exclusion des personnes sourdes dans les services de santé, la justice ou la sécurité publique pose un grave problème de droits humains. « Même lorsqu’une personne sourde est victime d’abus ou arrêtée par la police, elle ne trouve souvent personne pour traduire ses propos. Comment peut-elle alors se défendre ou faire valoir ses droits ? », s’est-il interrogé.
Il souligne que cette invisibilité sociale renforce la stigmatisation et le sentiment d’isolement au sein de la communauté des personnes sourdes.
Un appel à l’action collective
Malgré ces défis, cette première célébration au Burundi a été marquée par un souffle d’espoir et un appel pressant à l’action. « Nous demandons à l’État et à tous les partenaires d’investir dans l’inclusion. Sans la langue des signes, les enfants sourds ne peuvent pas apprendre, et sans éducation, il n’y a pas de développement durable », a insisté Ntakarutimana Emmanuel.
Vers une société plus inclusive
Cette initiative s’inscrit dans la dynamique mondiale portée par l’ONU depuis 2017. Pour les associations locales, il ne s’agit pas seulement de célébrer une journée symbolique, mais de poser les bases d’un plaidoyer de long terme.
Les organisateurs ont exprimé leur volonté de renforcer la coopération avec le gouvernement, les établissements scolaires et les partenaires de développement, avec un objectif clair : bâtir une société burundaise plus inclusive, équitable et respectueuse de la diversité linguistique.