
La rumeur court : le Kifranglais serait en passe de devenir la langue officielle. Oui, mesdames et messieurs, c’est elle qui s’invite dans les classes d’écoles et auditoires d’universités, et même, paraît-il, il siègerait au parlement.
Je pèche chaque jour, Seigneur : en pensée, en parole, par action et par omission ; je massacre chaque jour le kirundi… et le français. Et l’anglais. Je commets une triple hécatombe. Que ta grâce abonde sur moi et me purifie de cette inclination pécheresse.
Quant à vous chers ancêtres, pardonnez-moi, également : je vous ai trahis. Mon Kirundi, jadis pur et chantant, est devenu un kaléidoscope : parsemé d’anglicismes, de francismes, de swahilismes et de quelques autres joyeusetés. Que votre indulgence m’enveloppe et transforme ce chaos linguistique en un hommage digne de vos oreilles ancestrales.
Mais ne m’en voulez pas trop : même les vieux briscards ne font pas mieux. À la radio, à la télévision, les journalistes jouent eux aussi à ce carnaval des langues.
Le Kifranglais est désormais roi. Il s’impose, il murmure à l’oreille des ministres et des députés. Il est même dans les classes car, voyez-vous, enseigner seulement en français ou en anglais, mais qui écouterait ? Qui comprendrait ? Et, parait-il encore, le parlement tout entier se plierait à cette langue hybride, les interventions des élus se font de plus en plus dans ce patchwork linguistique.
Je ne mentirai pas : je fais pas partie des intrépides pionniers de cette “novlangue”, ce Kifranglais de malheur. À défaut de maîtriser le Kirundi, l’anglais ou le français, je les mélange joyeusement. Pas de discipline, pas de règles. Aujourd’hui, la règle c’est la liberté totale : le mot sort comme il vient en tête. Français ? Bien. Kirundi ? Parfait. Anglais ? Why not ? Let’s go.
La vie est trop rude pour qu’on perde son temps à chercher l’équivalent exact d’un mot. Et puis, soyons honnêtes : une langue n’est-elle pas faite pour communiquer ? Alors ai-je communiqué ? Oui, parfaitement ! Tu m’as compris ? Oui ? Alors rideau, merci et à demain !
Mais au fond… quelle langue le Kirundi sera-t-il devenu dans vingt ans, trente ans ? Un fantôme, un hybride, un mélange improbable … le jour se lève, une autre occasion de massacrer ces satanées langues. Ciao, à la revoyure.